vendredi 14 septembre 2007

ITALIE - DOUBLES VISIONS

L'Italie est paraît-il le pays le plus photographié du monde, je le crois volontiers, il se pourrait bien qu'il soit aussi le plus peint et le plus chanté du monde. La raison en est évidente, l'Italie est belle et vivante. Ce n’est pourtant pas l’impression que nous laisse l'exposition "Italie, doubles visions", présentée actuellement à la Maison Européenne de la Photographie. Cette exposition nous offre une image unique, contrairement à ce que le titre laisse entendre, d’une Italie triste et mélancolique. Son concept repose sur la double vision d’un même sujet par des couples de photographes, toujours constitués d’un italien et d’un étranger. L’idée est intéressante, et le résultat aurait pu l’être aussi si le choix des photos s'étaient porté sur des regards vraiment différents. Ce n’est malheureusement pas le cas, tous les regards ici sont emprunts de la même mélancolie. Et si le choix des sujets se veut éclectique, ruines, volcans, pêche au thon, vie en asile psychiatrique, il est aussi indubitablement morbide. Les plages elles-mêmes nous renvoient l’image d'un kitsch grossier et d’une gaîté artificielle, gâtées par des couleurs de bonbons acidulés. Entre les thons ensanglantés, les fous derrière les barreaux, les gros plans de magma en fusion, peu de photographies correspondent à la définition d’une vision de l’Italie, et peu sont de grande qualité. Quelques unes seulement émergent du lot, et ont attiré mon attention.

Dans l’ordre d’apparition, je citerai une photo d’Hennri Cartier Bresson prise en 1951, à Scanno dans les Abruzzes. Le savant enchevêtrement de placettes et d’escaliers de ce village nous permet de voir évoluer les personnages sur plusieurs plans. Ces plans, quatre, cinq ou six, selon que l’on compte ou pas les plans intermédiaires, sont à la fois indépendants et reliés, autant par la configuration des lieux que par l’histoire qui s’y déroule. Il est l’heure, pour les femmes en tenue traditionnelle, de rentrer chez soi, chacune ayant son plateau de petits pains chauds sur la tête. Les hommes, en groupe, rentrent lentement, et prennent le temps de discuter, pendant que les enfants s’amusent, et que le chat se lèche les babines.

La seconde photo a avoir attiré mon attention est de Luca Campigotto, ce vénitien de naissance nous offre une vision nocturne, en noir et blanc, d’une Venise intemporelle et déserte. Une Venise endormie, une Venise un peu Narcisse, dont pas une gondole ne vient briser le parfait miroir de l’eau.

Puis vient la Venise d’Ernst Haas, grand amoureux de Venise, de ses brumes et de ses reflets, qui lui permettaient de satisfaire son goût pour les réalités floues, et les visions subjectives. D’une ombre bleu violet, dense et confuse, émerge la silhouette d’un gondolier, le reflet d’un cheval doré, ou bien quelques gondoles prêtes à s’envoler. La Venise d’Ernst Haas n’est pas déserte, elle est habitée par des êtres surnaturels, qui se montrent partiellement, ou pas du tout, mais dont on sent instinctivement la présence. C’est une Venise dont la véritable essence est le rêve, un rêve flottant, diffus, où quelques éléments clefs apparaissent soudain, avec une netteté significative et troublante. La Venise d’Ernst Haas est celle d’un viennois, en accointance avec les sables mouvants de l’âme, et qui, encore enfant, jouait à Colin Maillard avec le petit fils de Sigmund Freud.

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