L'artiste tente de rendre sensible une vision qui lui est personnelle. Ce peut être une vision tout à fait imaginaire, ou bien une vision du réel. Certains arts comme la peinture ou la littérature permettent d'exprimer l'un ou l'autre type de vision, la photographie quant à elle ne peut se détacher du réel, elle en est dépendante comme l'esprit dépend du corps. Et sa noblesse consiste précisément à imprimer sur l’image l'esprit du photographe, tout autant que celui du sujet photographié.
Dans son essai sur l’art Le Tabor et le Sinaï, Michel Tournier écrit ceci : on retrouve la distinction de Kant entre les choses en soi - les noumènes - et les apparences extérieures qui les recouvrent - les phénomènes. Tout se passe comme si, pendant des siècles de peinture figurative, la vision directe des noumènes avait été interdite à l'oeil humain. Mais ce sont eux seuls, leur transverbérance à travers le masque figuratif, qui donnent sa valeur à la peinture figurative. Si rien ne perce, la peinture ne vaut rien.
Il en va de même pour tout art, et peut-être plus encore pour la photographie, dont la facilité technique rend l’opération absolument banale et dénuée d’intérêt, si elle n‘est éclairée de l‘intérieur. Si rien ne perce, la photographie ne vaut rien. Quelque soit le thème choisi, ce qui importe c’est l’esprit du photographe.
A partir de là, la qualité fondamentale et indispensable à attendre d’un photographe est qu’il ait une vision personnelle à imprimer sur le réel. Qu’est-ce qu’une vision personnelle ? Une sensibilité, une conception du monde, une esthétique, une personnalité, une âme. Toutes choses qui ne dépendent pas de l’énergie que l’on met à faire flou, à faire mal cadré, à faire surexposé, à faire laid, choquant ou violent. Du reste, qui est encore choqué par quoi que ce soit aujourd’hui ?
Non, l’amateur de photographie n’est plus ni choqué, ni étonné, il est tout simplement ennuyé et déçu. Rien n’est plus has been que ce pseudo avant-gardisme qui consiste à déconstruire encore et encore ce qui a déjà été déconstruit mille fois depuis un siècle au moins!
Est-ce par facilité, est-ce par manque de personnalité, est-ce pour satisfaire un marché de plus en plus dupe ? Qui se joue de qui ? Quels sont les enjeux et quels sont les critères ?
Voici les questions que l’on est en droit de se poser à l’issue du salon international de la photographie qui s’est tenu ce week-end à Paris, au Carrousel du Louvre.