samedi 29 septembre 2007

HELEN LEVITT

Il faut absolument voir l'exposition Helen Levitt à la Fondation Henri Cartier Bresson. Outre la beauté des lieux et l'atmosphère de sympathie que l'on y rencontre, le travail d'Helen Levitt, inspiré par celui de son ami Henri Cartier Bresson, qu'elle rencontre à New York en 1935, est remarquable. On y retrouve en effet le même sens de la géométrie mêlé au sens de l'humain, plus humain encore que celui du photographe voyageur. C'est qu'Helen Levitt, photographe sédentaire, photographie ce qu'elle connaît bien. Elle photographie la vie dans les rues de la ville qui l'a vu naître, et où elle a toujours vécu, New York. New York a curieusement ceci de commun avec les villages de Méditerranée qu'on y vit dans la rue. Il y a deux raisons principales à cela, l’une est qu’il peut y faire très chaud, la seconde est que les maisons possèdent presque toutes un petit escalier extérieur sur les marches duquel il est très commode de s’asseoir. Et quand il n’y a pas de marches, rien n’empêche d’y installer quelques sièges, on peut ainsi prendre le frais tout en discutant avec les voisins, pendant que les enfants jouent à s’asperger d’eau, à danser, à se faire des grimaces, ou bien à cabotiner devant l’objectif complice du photographe. Car les enfants sont le sujet de prédilection d’Helen Levitt. Des enfants espiègles, libres et plein de vie, dont les rues sont l’ère de jeu et le royaume. Ils s’y amusent avec n’importe quoi, un vieux cadre sans miroir, des cailloux, des craies pour dessiner sur les murs, une borne d’eau, mais surtout comme tous les enfants, ils jouent des rôles. Ils s’inventent des scenarii dont ils sont les héros, et ils n’ont besoin pour cela de rien d’autre que de leur imagination, parfois un masque, ou bien un revolver, mais c’est principalement dans leur coeur qu’ils incarnent leurs personnages, et cela transparaît dans l’image et lui imprègne sa vie. J’aime tout particulièrement les photos noir et blanc des années 40, qui nous immergent dans un monde semblable par son esthétique et son atmosphère à celui des films noirs américains de la même époque. On s’attend à voir Humphrey Bogart ou James Cagney apparaître d’un instant à l’autre pour jouer avec ces Angels with dirty faces. Ce n’est pas seulement un style de vie qui nous est montré ici, c’est toute une époque, celle où les mauvais garçons se reconnaissaient à leur élégance suspecte et tape à l’oeil dans ces quartiers de travailleurs pauvres. On sent chez Helen Levitt un amour de la vie et du mouvement tel qu’avant de l’amener à tourner deux films - The quiet one en 1948, puis In the street en 52 - elle semble concevoir son travail comme une sorte de cinéma inanimé. Elle imagine même de photographier plusieurs étapes d’une même action, de façon à pouvoir en assembler les tirages en une succession d’images placées dans l’ordre chronologique, évoquant le mouvement. On peut ainsi voir à la Fondation HCB une séquence de cinq photos datant de 1940, représentant une carriole de transport en commun tirée par un cheval, en plein New York, d’où les gens descendent (1), où les gens montent (2), où la carriole démarre (3), où des enfants lui courent après (4), et pour finir où les enfants continuent de courir derrière une carriole déjà éloignée (5). Ces séquences de photos encadrées son de petites merveilles. Au fil de l’exposition les années passent et Helen Levitt ne se lasse pas de photographier sa ville, les années 70 nous montre une misère en couleur qui semble plus sale et plus pénible, peut-être parce qu’elle est en couleur. Les années 80 nous ramène au noir et blanc, et la vie urbaine renoue avec une certaine vision poétique, certes le look des personnages n’est plus le même, les casquettes de rappeur et les fausses chaînes en or ont fait leur apparition, mais l’esthétique géométrique, symétrique, accentuée par la binarité de la non couleur souligne un air de famille entre les nouveaux personnages et les anciens. Helen Levitt n’avait pas besoin de voyager, tel Xavier de Maistre dans son Voyage autour de ma chambre, l’acuité et la profondeur du regard apporte à son travail la diversité que n’apporte pas la sédentarité de l‘auteur. En outre, son oeuvre, répartie sur plus d’un demi-siècle, bénéficie des variations apportées par le temps, dans une ville elle-même en perpétuel mouvement, toujours à l’avant-garde du temps, où tout change très vite, sauf cet esprit de liberté qui a présidé à sa création, et qui n‘a jamais cessé de lui insuffler vie et mouvement.

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